Comment les archivistes en 2024 tentent de donner un sens à l’information qu’ils et elles reçoivent de toutes parts.
Evaluer est une manie de notre temps. Tout évaluer, toujours plutôt deux fois qu’une et si possible, l’idéal serait de le faire en permanence. Regarder les résultats, mettre en mots, prendre conscience, avant même de faire quelque chose, en prévision, puis pendant et aussi après. C’est un peu encombrant mais au moins on est à l’écoute, on sait, on ne se raconte pas d’histoires, on met les résultats au centre, du concret ! Quoique…
Depuis juin 2022 la Coordination sociale de Laeken organise des journées « Place à nos droits ». Des journées où des dizaines de travailleurs sociaux descendent dans la rue, concrètement sur la place Boockstael, travaillent ensemble sans rendez-vous et bien entendu en présentiel. Il s’agit à la fois d’un geste pratique : pour toute une série de raisons que nous allons développer dans le corps du texte, cela permet de mieux aider une partie du public. D’un geste revendicatif : s’opposer au tout numérique mais aussi à certaines pratiques présentielles tout aussi inefficaces, voire agressives envers les usagers. Et il s’agit tout autant d’une expérimentation, pour tenter d’amener le travail social vers d’autres logiques que celles de l’État social actif notamment.
L’objectif de ces analyses (celle-ci et d’autres à venir) n’est pas de proposer des fiches de lecture, ni même une bibliographie commentée. On parlera d’une série de livres non pas pour les résumer, les critiquer ou les évaluer, mais simplement pour reprendre deux ou trois problématiques qui nous semblent fécondes pour nos problèmes. Une lecture totalement située et loin de l’exhaustivité.
Dans le texte d’aujourd’hui : « Le champignon de la fin du monde », un livre d’Anna Tsing.
D’une certaine manière un débat sur la numérisation est lancé, en tout cas en ce qui concerne les services publics. Du moins on ne compte plus les réunions dans ce domaine qui jusqu’à peu de temps ne mobilisait pas des ministres ni des directions. Cependant la question s’est posée surtout au niveau des travailleurs de terrain, c’est à ce niveau-là qu’elle a des effets, c’est là que les problèmes sont visibles : au niveau des infirmières, des travailleurs sociaux, du personnel à l’accueil, des bénévoles, de quelques militants... puis elle a fini par « remonter »...
La numérisation à l’hôpital est souvent présentée comme une forme de progrès, alliant sécurité, efficacité et rapidité. Mais l’ordinateur peut-il réellement rivaliser avec un·e infirmier·e expérimenté·e ? Est-il possible – et souhaitable – de rationaliser la souffrance d’un malade ? Qui paie le prix de cette informatisation à tout crin ? Pour quel temps (vraiment) gagné ?
Depuis une vingtaine d’années dans le travail social, mais à vrai dire c’est aussi valable dans tous les secteurs de la vie, penser ce que nous faisons se résume très massivement à une méthode : évaluer. C’est-à-dire comprendre ce que ça vaut… rapporter les actions sur une échelle quelconque...
Si n’importe quelle évaluation formelle dans le cadre de l’État social actif se veut à la fois objective et prescriptive, la digitalisation est un accroissement exponentiel de ces prétentions.
Les dispositifs numériques se présentent très souvent comme le simple ajout d’un nouveau possible. On implémente ces outils digitaux avec l’argument qu’ils sont simplement une aide, qu’ils n’apportent qu’un plus, qu’ils ne feraient qu’accroître les possibilités d’action des travailleurs sur le terrain. Mais ce qu’ils détruisent et ce qu’ils modifient n’est pas mis sur la balance. Par exemple, quand un dispositif informatique modifie l’admission des patients ou la prise en charge des gardes de nuit, on ne regarde que rarement quel savoir disparaît : qu’est-ce qu’on ne sait plus faire ? Mais aussi, qu’est-ce qu’on invente ? Chaque mode de savoir prend en compte certains éléments, produit ses données d’une manière singulière. Quels éléments sont privilégiés par la numérisation des hôpitaux ? La question ne se résout ni dans une addition porteuse d’espoir, ni non plus dans une soustraction teintée de nostalgie… Plutôt quelque chose de plus complexe à examiner : comment les travailleurs composent avec ces outils ? Mais aussi, quels savoirs ils produisent sur ces outils ?
L’aménagement scientifique d’un quartier à partir d’une modélisation, l’orientation scientifique des élèves à partir de tests psys, la détermination scientifique de l’âge d’un sans-papiers à partir d’un test osseux. Mais aussi d’infinies applications qui modifient le travail, l’étude, les relations humaines, par des traitements informatisés du moindre geste effectué. Des choix de services sociaux organisés à partir de statistiques… Des manières scientifiques de se nourrir et d’évaluer les bénéfices de cette nourriture, de juger la qualité des sols qui la produisent, ou la santé d’une population. Toute une série disparate d’éléments présents dans notre quotidien qui ont en commun d’être regardés, tant bien que mal, comme des services rendus par la science. C’est vague comme ensemble, et bien entendu pas très scientifique. Mais la question est justement cela : la relation avec la science.